L’occupation malienne
Au cours des six dernières décennies, la région de l'Azawad a subi
de nombreux exodes en raison de la répression exercée par le Mali et des
sécheresses récurrentes. Dépendant exclusivement du pastoralisme pour leur
subsistance, les populations locales demeurent extrêmement vulnérables. Depuis
l’indépendance du Mali, obtenue de la France coloniale, l'Azawad a été négligée
en matière d’infrastructures, se transformant ainsi en une zone de non-droit.
Depuis lors, le gouvernement malien a mis en œuvre diverses stratégies pour
s’approprier les terres de cette région. Les exilés de l’Azawad, notamment les
Touaregs et les Arabes, ne reviennent pas dans leur terre natale. Ce mouvement
de réfugiés représente plus de la moitié de la population dans plusieurs
régions du sud algérien et libyen. Le Mali continue de recourir à diverses
méthodes pour provoquer l’exil et s’oppose à toute initiative de développement
ou de sécurité susceptible de retenir les populations dans leurs territoires
d’origine.
Le terrorisme international
À la menace malienne s'ajoute celle des groupes affiliés à Al-Qaïda
et à l'État islamique en Irak et au Levant. Ces groupes, qui propagent le
terrorisme international, se sont intéressés à la région de l'Azawad dès le
milieu des années 1990, avant de prêter allégeance à Al-Qaïda et à Daesh. Ils
s'y sont officiellement établis à la fin de cette décennie. À partir de 2009,
Al-Qaïda a entrepris un recrutement massif parmi les locaux et, en 2012, elle
s'est directement impliquée dans le conflit traditionnel opposant l'Azawad au
Mali. Al-Qaïda prétend désormais représenter la cause locale et impose son
modèle et son autorité par la force aux deux camps en conflit. À partir de
2016, l'État islamique est venu s'ajouter à Al-Qaïda, se positionnant comme la
branche jihadiste pure et légitime. Ces trois acteurs, tous engagés dans la
guerre et avides de contrôler l'Azawad et ses populations, se sont, depuis
2012, impliqués dans des assassinats, des massacres, des destructions,
l'imposition de taxes, des pillages et des assimilations forcées des
populations, poussant de nombreux villages et campements à l'exode, soit vers
les centres urbains de l'Azawad, soit vers les pays voisins.
Les vagues de migration
Première
vague : la rébellion de 1963
Le premier exode massif a touché la région de Kidal après la
rébellion de 1963, lorsque Modibo Keita a donné carte blanche au capitaine Dybi
Syllas Diarra pour assassiner, violer, emprisonner, exproprier et déporter les
populations locales accusées de rébellion. La région de Kidal s'est vidée de
ses habitants, qui se sont réfugiés en territoire algérien. Ces années sont
connues dans la mémoire orale de la région de Kidal sous le nom de
"Iwityan win Tihrouhagh" (les années de l'exode).
Deuxième vague : la sécheresse
de 1973
En 1973, une terrible sécheresse frappe la région, provoquant une
deuxième vague de migrations des populations vers d'autres pays, notamment le
Niger, le Nigeria et l'Algérie. Cette catastrophe naturelle est exploitée par
le gouvernement du dictateur Moussa Traoré, qui adopte une stratégie de
non-assistance aux victimes. En plus de ne pas soutenir les sinistrés, le
gouvernement durcit son système douanier et ses services de protection de la
forêt, imposant des taxes astronomiques aux habitants coupant une branche
d'arbre pour nourrir leurs bêtes. Cette période est connue sous le nom de
"Hamedali Wan Ikchan" dans les régions de Kidal et de Ménaka. L'exode
a touché toutes les régions de l'Azawad, certains réfugiés migrant même vers la
Côte d'Ivoire et l'Arabie Saoudite.
Troisième vague : les
sécheresses de 1984-1985
En 1984 et 1985, deux années consécutives de sécheresse poussent
des dizaines de milliers de personnes à migrer vers la Libye et l'Algérie. Ces
migrants se trouvent pris entre la famine qui frappe la région de l'Azawad, le
détournement de l'assistance humanitaire internationale par Bamako et les
refoulements des autorités algériennes. Ces années sont connues dans les
traditions orales de la région de Kidal comme les années de la Croix-Rouge
(1984-1985) et l'année des refoulés (1987 à 1990).
Vagues de 1991-1994
Entre 1991 et 1994, de nouvelles vagues de réfugiés viennent
s'ajouter aux précédentes en raison des massacres perpétrés par l'armée
malienne et les milices qui lui sont affiliées. Cette fois, la crise d'exode
touche toutes les régions de l'Azawad. Des milliers de personnes se réfugient
dans les pays voisins, notamment le Burkina Faso, l'Algérie et la Mauritanie.
Après la cérémonie de la Flamme de la Paix en 1996 à Tombouctou, certaines
familles sont retournées dans leurs régions
Rébellion de 2006
En mai 2006, une rébellion éclate dans la région
de Kidal. Plusieurs familles, traumatisées par le passé violent de l'armée
malienne, fuient la ville de Kidal et migrent en Algérie par crainte de
représailles. Le soulèvement aboutit à un accord parrainé par l'Algérie et, à
l'occasion du Forum de Kidal, de nombreuses familles regagnent leurs maisons.
Lutte pour l’indépendance en 2012
En 2012, une lutte pour l’indépendance de l’Azawad
est enclenchée. Le Mali est chassé et l’Azawad est déclaré indépendant par le
Mouvement National de l’Azawad (MNLA). En janvier 2013, avec l’appui de l’armée
française, les militaires maliens reviennent dans la région de l’Azawad. Les
populations, encore une fois traumatisées par les massacres de l’armée
malienne, se réfugient dans les pays voisins : le Burkina Faso, la Mauritanie
et l’Algérie. Plusieurs massacres ont lieu dans la région de Tombouctou et à
Gao, incitant les exilés à rester dans les camps de réfugiés.
La situation actuelle : les années 2020
Réfugiés de l’accord
d’Alger de 2015
Entre 2013 et 2023, plusieurs familles retournent
d'elles-mêmes pour développer leurs villages et villes, mais la majorité des
réfugiés de la région de Gao et de Tombouctou restent dans les camps de
réfugiés ou dans les villes des pays voisins. Ceux qui ont regagné leur terre
d’origine sont rassurés par l’accord d’Alger de 2015, signé entre les
mouvements de l’Azawad et le Mali. Cet accord, parrainé par la communauté
internationale via les forces de l’ONU, devait développer la région et
instaurer un climat de paix, mais il est resté lettre morte. Bamako a profité
du flux financier occasionné par cet accord pour acheter des armes et recruter
des mercenaires.
Nouvelle guerre en 2023
En août 2023, le Mali, appuyé par les mercenaires
russes de Wagner et des drones turcs, déclenche une nouvelle guerre. Ils
commencent par une attaque sur un poste de la Coordination des Mouvements de
l’Azawad à la frontière mauritanienne, suivie d’un massacre à grande échelle
dans la région de Tombouctou. Dès lors, les populations civiles Touaregs et
Arabes, spécialement visées, reprennent le chemin malheureux de l’exode. Entre
août et novembre, la moitié des villes et villages proches des axes routiers
sont touchés par des massacres et des destructions perpétrés par l’armée
malienne et Wagner, qui utilisent de manière excessive les drones turcs pour
cibler de façon indiscriminée les civils Touaregs et Arabes.
Le camp de réfugiés de Mbera, Mauritanie
Mbera est l'un des plus grands camps de réfugiés
de l'Azawad et du Macina au Sahel. Depuis août 2023, des dizaines de milliers
de réfugiés ont afflué dans le camp de Mbera en Mauritanie, fuyant la
multiplication des attaques djihadistes et l'intensification des massacres de
civils menés par l'armée malienne et les mercenaires russes de Wagner dans le
Macina et l'Azawad. Ils rejoignent ainsi plus de 35 000 autres réfugiés, dont
certains sont présents dans ce camp depuis 2013. En plus du camp de Mbera, de
nombreux autres réfugiés se sont installés dans les villes, villages et
campagnes mauritaniens, bien que leur nombre exact soit indéterminé.
Le camp de réfugiés de Mbera est situé sur le
territoire de la commune de Fassala. La population de ce camp s'élève à 58 700
réfugiés, dont 70 % sont des jeunes âgés de 0 à 39 ans et 55 % sont des femmes.
Les activités économiques de la commune de Fassala tournent principalement
autour du pastoralisme.
La gestion du camp
Le camp est géré par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour
les réfugiés (UNHCR). L’accès à l’aide pour les réfugiés est classé en
différentes catégories :
Catégories de la population dans le camp de réfugiés :
- Catégorie 1 :
- Accès aux aides : Oui, chaque 2 mois.
- Accès aux soins : Oui, chaque 2 mois.
- Catégorie 2 :
- Accès aux aides : Non.
- Accès aux soins : Oui, mais payants.
- Catégorie 3 :
- Accès aux aides : Non.
- Accès aux soins : Non.
Justification des catégories :
Les gestionnaires du camp considèrent que les réfugiés de la Catégorie 2 et
de la Catégorie 3 ont la capacité, soit par la durée de leur séjour dans le
camp, soit par leurs moyens personnels, de subvenir à leurs propres besoins
sans l'aide directe du UNHCR. Malgré l'accueil chaleureux de la Mauritanie et
de sa population, les occupants du camp de Mbera se plaignent de la gestion
interne du camp. Bien que la situation soit meilleure qu'au Burkina Faso et au
Niger, où les réfugiés subissent de nombreuses tracasseries telles que des
attaques terroristes et des opérations militaires, à Mbera, c'est la mauvaise
gestion de l'aide destinée aux réfugiés qui pose de nombreux problèmes.
De nombreuses plaintes des réfugiés font état de détournements et de
malversations de la part de la coordination interne du camp. Certains vont
jusqu'à qualifier ce système de "mafieux", exploitant les réfugiés.
Dans certains cas, ce système s'associe avec des ONG impliquées dans cette
machine de corruption.
L'ONG Médecins Sans Frontières Belgique (MSF-Belgique), qui a résisté pour
maintenir ses principes et valeurs, a été éjectée du camp, laissant les
réfugiés sans alternative, après tant d'efforts et de sacrifices. Certains
rapports indiquent que des ONG mènent des activités sans respecter les normes
et principes établis, notamment dans la gestion des distributions d'aide, des
programmes parallèles, des recrutements et des actions de civisme. Plusieurs
procédures sont dénoncées, comme les recrutements, les distributions, les
salaires des enseignants, des femmes cuisinières, des gardiens, ainsi que la
motivation de la brigade anti-feux. Les réfugiés qualifient ce système de bien
huilé, mis en place par certains leaders au détriment de la grande masse des
réfugiés.
Certains témoins rapportent que cette gestion calamiteuse, qu'ils
qualifient de système mafieux, n'a même pas épargné les fonds alloués pour
lutter contre la propagation de la Covid-19. De nombreux réfugiés ayant
travaillé dans la commission mise en place à cet effet affirment avoir
travaillé plusieurs mois sans la moindre rémunération, contrairement à certains
proches de la "Coordination des leaders du camp" dont le train de vie
a nettement changé, s'offrant de nombreux véhicules luxueux. Les leaders du camp
ont instrumentalisé le concept de "volontariat" pour appauvrir
certains chefs de famille travaillant gratuitement ou à vil prix. C'est le cas
de certaines cuisinières qui travaillent gratuitement au nom du
"volontariat". Des gardiens ont été contraints de travailler pour
moins de la moitié de leur salaire normal avec l'ONG Médecins Sans Frontières.
Par exemple, une source interne rapporte qu'une ONG nommée COPPI proposait
l'équivalent de 300 000 FCFA comme revenu aux réfugiés travaillant sous ses
instructions. Cette proposition a été rejetée par les responsables du camp, qui
ont insisté pour que l'ONG ne verse aux réfugiés qu'un montant forfaitaire de
50 000 FCFA au nom du "volontariat".
Des recrutements sans respect de critères objectifs
De plus, nombreux sont ceux qui affirment que, sans affinité avec
les responsables de la gestion du camp, le recrutement des réfugiés au sein des
ONG qui y opèrent est quasiment impossible. Ils dénoncent le fait que ces
recrutements ne se fait pas sur la base de critères objectifs tels que la
motivation du candidat, sa compétence, son expérience et son savoir-faire.
Certaines ONG profitent de cette situation pour recruter des réfugiés avec des
salaires modiques, sans contrat de travail et sans possibilité de bénéficier de
prestations sociales. À cela s’ajoute le fait que, si un employé se blesse dans
l’accomplissement de son travail, l’ONG décline toute responsabilité à son
égard.
L’accès à l’eau
Depuis deux ans, le camp de Mbera rencontre de grandes difficultés
liées à l’accès à l’eau. Selon certains témoins, cette situation est due non
seulement à la mauvaise gestion, mais également à l’augmentation constante du
nombre de réfugiés.
L'exode des Touaregs du Gourma
Dans la zone du Gourma, sur la rive sud du fleuve Niger, la
plupart des populations touarègues et des familles arabes ont été déplacées par
la Jama'at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) lié à Al-Qaïda et État Islamique
dans le Grand Sahara l’EIGS lié à l’État islamique entre 2021 et 2022.
Plusieurs villages et campements Touaregs ont été massacrés, d'autres ont été
chassés de force et leurs biens ont été détruits et pillés. Parmi ces villages,
on compte Houroum et Tindarandjtane dans la commune de Tessit, qui ont été
déplacés par l'EIGS en 2021. Tandis que les villages de Tadjalalt, Tinaghaghi,
Bakal, Marsi, Doghay et Kaygouroutane ont tous été déplacés par le JNIM en
février 2022. La plupart de ces populations se trouvent actuellement au Niger
et aux alentours de Gao, tandis que d'autres sont parties se réfugier en
Algérie.
Le calvaire d’Akharaboy, Tinzawaten
Depuis 2022, l’État Islamique au Grand Sahara (EIGS) a décrété une Fatwa
(jugement) qui rend licite le sang et les biens des populations Touaregs de
la région de Ménaka. Après cette Fatwa l’organisation terroriste se
lance à l’assaut des populations Touaregs et de leurs biens. Ainsi, 100 % des
villages et villes de la région de Ménaka sont touchés par les massacres de
masse des populations Touaregs. Ce massacre a alors créé un exode sans précédent
vers le Niger et la frontière algérienne. Cet exode, qui a continué toute
l’année 2022, est suivi par celui déclenché par les attaques de l’armée
malienne et Wagner appuyé par des drones turques dans la région de Tombouctou, Gao
et Kidal à partir de septembre 2023 jusqu’à aujourd’hui. Le flux des réfugiés a
continué ces dernières semaines en raison des massacres de l’armée malienne et
de Wagner dans la région de Kidal. Ce camp de fortune d’Akharaboy s’est établi
à 100 mètres de la lisière de la frontière algérienne par crainte de
représailles de l’armée malienne et de Wagner. Ces réfugiés se sont entassés
pour la plupart dans une zone où il n’existe aucun organisme dédié à leur aide
et ne disposent d’aucune ressource car soit ils ont abandonné leurs biens, soit
ceux-ci ont été pillés ou détruits.
À Akharaboy, Tinzawaten, on dénombre 1 950 familles en mars 2024. Parmi ces
familles, 900 sont arrivées à la suite des massacres de l’État Islamique dans
la région de Ménaka, totalisant 2 400 personnes dont la moitié sont des
enfants. Ces déplacés vivent dans des conditions déplorables. Ils sont exposés
sous des abris de fortune à la chaleur écrasante due au changement climatique,
à la malnutrition, aux maladies, et à l'absence d’infrastructures
d’assainissement, le manque d’école et d’eau. Avant l’arrivée du Mali et de
Wagner dans la région de Kidal, certaines ONG leur apportaient un soutien
minimum, tel que le CICR. Depuis que le Mali a pris le contrôle de la ville de
Kidal, il a interdit aux ONG d’aider les zones où son armée n’est pas présente.
L’Énigme Algérienne
Bien
que l'Algérie se présente comme une puissance régionale ayant parrainé les
accords de paix entre l'Azawad et le Mali, ce pays n'a pris aucune initiative
concrète pour mettre en place des infrastructures d'accueil dignes pour les
flux de réfugiés fuyant le conflit Azawadien.
De
nombreuses familles, comptant des proches déjà installés sur le territoire
algérien suite à des vagues migratoires antérieures, ont franchi illégalement
la frontière à la recherche d'un toit. Cette arrivée massive a engendré une
flambée des prix de l'immobilier dans les régions méridionales du pays,
accroissant la demande de logements et contraignant certains réfugiés à
s'installer dans des quartiers insalubres menacés de démolition et dans des
hameaux installés à même le sol. À Tinzawaten, dans la localité d'Akharaboy,
faute d'alternatives viables, des réfugiés ne bénéficient que d'une aide
alimentaire minimale tous les deux mois, distribuée par le Croissant-Rouge
algérien.
Des
centaines d'autres familles originaires de Kidal et Gao se sont massées dans
les zones de Talahandak, Timtaghen et Tintiska, dépourvues d'infrastructures
hydrauliques adéquates en raison de la profondeur des nappes phréatiques. À
l'exception de Timtaghen, ces localités souffrent d'un manque criant d'accès à
l'eau potable, les populations dépendant des citernes acheminées depuis
l'Algérie et vendu à prix d’or. Ces sites de fortune ne bénéficient d'aucun
soutien substantiel des autorités. Certaines familles ont pu trouver refuge
dans la périphérie de Timeaouen, mais dans des conditions d'hébergement plus
que précaires. À l'instar de Tinzawaten, le logement représente le besoin le
plus pressant et le plus ardu à combler pour ces populations déplacées. Dans un
climat d'inaction flagrante, les autorités algériennes interdisent à ces
réfugiés de recevoir une aide humanitaire en provenance d'ONG étrangères, tout
en refusant catégoriquement l'ouverture d'un camp de réfugiés sur leur sol.
De
nombreuses questions restes soulevées sur la réelle volonté de l’Algérie
voisine qui s’est engagée à parrainé ou assurer la médiation de tous les
accords de paix, pacte nationaux et autres engagements pris entre les autorités
Azawadiennes et maliennes sans remplir efficacement ce rôle mais surtout sans
assurer le strict minimum pour les réfugiés victimes du conflit dont elle est
traditionnellement en charge.
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APMA, 7
juin 2024
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